
J'adooorrre ces deux filles !
Pourquoi ? Mais, vous ne devriez même pas poser la question tellement c'est flagrant, tellement ça crève la toile !
Mais, parce-qu'elles sont belles pour commencer, puis "Valentine" empreint de beaucoup de féminité, de vivacité, de finesse, de curiosité, leur va comme un gant et à plus forte raison quand on connait leur histoire comme moi !
Bon, d'accord, je vais de ce pas vous la raconter, je sens bien en vous cette frénésie à vouloir entendre des potins.
Elles étaient toutes les deux d'origine française, mais leurs familles bourgeoises pour des raisons politiques obscures avaient voulu s'installer à Buenos Aires avant même leurs naissances.
Dans les années trente le tango argentin battait son plein et avait séduit toute la bourgeoisie, dont elles et leurs maris respectifs.
Elles ne se connaissaient pas jusqu'au soir où elles se sont vues pour la première fois dans une
milonga.
Elles ont tout de suite été frappées par leur ressemblance comme si elles se voyaient l'une l'autre dans un miroir.
Aussi, il n'a pas été difficile pour elles de faire spontanément connaissance avec grâce lors d'une pause rafraichissement, après deux heures consécutives intenses à tournoyer, à sautiller, à effectuer des
boleos, des
ganchos et avoir accepté des
barridas et des
mordidas.
Elles ont évidemment beaucoup ri au moment des présentations, pensant que chacune faisait une blague à l'autre.
Quand Bernardino et Rodrigo les ont rejoint au comptoir en les nommant par leur prénom identique elles ont immédiatement compris que cette rencontre allait sceller leur destinée au delà de toute imagination.
Elles se sont revues, toujours dans cette grande salle au carrelage sublime noir et blanc, brillant comme de l'ivoire poli et aux lumières tamisées dans les tons de grenat, une bonne dizaine de fois.
Mais, il ne leur a pas fallu longtemps pour comprendre que leurs maris respectifs ne valaient pas plus l'un que l'autre. Elles ne manquaient jamais l'occasion d'évoquer à toute allure, lors d'une pause buvette, ou sanitaire, leurs angoisses vis à vis de ces hommes dans la splendeur de leur machisme exacerbé.
Un samedi où il faisait un temps particulièrement glacial, la
milonga était un tantinet désertée par ces messieurs qui sous prétexte de frilosité étaient restés collés au bar, beaucoup plus qu'à l'accoutumée.
Rodrigo et Bernardino étaient encore plus saouls que d'habitude et si leur infidélité à chacun était légendaire, elle se tenait toujours à une distance respectable de leurs épouses jusqu'à ce soir là où leurs pulsions sexuelles dépassaient les bornes en accostant chacun une personne de la gent féminine venues en solo jusqu'à ce bal, mais aussi dans ce même secteur alcoolisé.
Valentine et Valentine étaient restées assises en savourant mutuellement la présence de l'autre.
D'un air entendu elles se sont levées en même temps, sans aucune crispation, avec autant de légèreté qu'un voile qui s'envolerait par une fenêtre laissée ouverte un jour de grand vent.
C'est ainsi que dans un recoin, à l'ombre de tous les regards, elles se sont embrassées pour la première fois.
Quinze jours plus tard, elles s'enfuyaient toutes les deux pour aller vivre ensemble au Mexique où elles y vécurent heureuses jusqu'à la fin de leurs vies.
Je perçois au fond à gauche une tête mécontente par ce récit.
Comment ?
Vous avez envie de dire haut et fort que je suis complètement décalée et que c'est la Saint-Valentin aujourd'hui.
Oui, bon d'accord, peut-être !
Mais, depuis quand la fête des amoureux doit être consacrée qu'aux hétérosexuels ?
Et puis, Monsieur, si je peux me permettre de vous interrompre, en tant qu'hétérosexuelle, justement, cela ne fera que la treizième fois (si on compte à partir de l'âge de dix huit ans) de ma vie que je passe la Saint-Valentin toute seule, alors j'ai bien le droit de me faire plaisir en fêtant la Saint-ValentinE si j'en ai envie !
(Soupir)
Mais...qu'est-ce qu'elles sont belles !
Petit lexique de tango argentin :
Milonga : Bal de tango argentin
boleos : Battement de la jambe de la femme produit à partir d'un guidage de l'homme qui contrarie un huit arrière ou avant de la femme.
ganchos : Crochet réalisé entre les jambes du (de la) partenaire. Mouvement fouetté de la jambe autour de la jambe du partenaire.
barridas : balayage et déplacement du pied de la femme par le pied de l'homme.
mordidas : le danseur entoure le pied avant de la danseuse avec ses deux pieds, avant de reculer son pied droit et de lui proposer un huit avant.
Photo et texte de Mathilde Primavera.