Tout ce qui n'est pas donné ou partagé est perdu (proverbe gitan)

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Ici c'est le printemps toute l'année !!!

samedi 14 avril 2012

Souvenir pétillant et moralité implacable

XVIII : La boîte à ouvrage.


Quand Sophie voyait quelque chose qui lui faisait envie, elle le demandait.Si sa maman le lui refusait, elle redemandait et redemandait jusqu’à ce que samaman, ennuyée, la renvoyât dans sa chambre. Alors, au lieu de n’y plus penser,elle y pensait toujours et répétait :
« Comment faire pour avoir ce que je veux ? J’en ai si envie ! Ilfaut que je tâche de l’avoir. »
Bien souvent, en tâchant de l’avoir, elle se faisait punir ; mais elle nese corrigeait pas.
Un jour sa maman l’appela pour lui montrer une charmante boîte à ouvrage que M.de Réan venait d’envoyer de Paris. La boîte était en écaille avec del’or ; le dedans était doublé de velours bleu, il y avait tout ce qu’ilfallait pour travailler, et tout était en or ; il y avait un dé, desciseaux, un étui, un poinçon, des bobines, un couteau, un canif, de petitespinces, un passe-lacet. Dans un autre compartiment il y avait une boîte àaiguilles, une boîte à épingles dorées, une provision de soies de toutescouleurs, de fils de différentes grosseurs, de cordons, de rubans, etc. Sophiese récria sur la beauté de la boîte :
« Comme tout cela est joli ! dit-elle, et comme c’est commode d’avoir toutce qu’il faut pour travailler ! Pour qui est cette boîte, maman ?ajouta Sophie en souriant, comme si elle avait été sûre que sa mamanrépondrait : C’est pour toi.
C’est à moi que ton papa l’a envoyée, » répondit Mme deRéan.
SOPHIE. – Quel dommage ! J’aurais bien voulu l’avoir.
MADAME DE RÉAN. – Eh bien ! je te remercie ! Tu es fâchée que ce soitmoi qui aie cette jolie boîte ! C’est un peu égoïste.
SOPHIE. – Oh ! maman, donnez-la-moi, je vous en prie.
MADAME DE RÉAN. – Tu ne travailles pas encore assez bien pour avoir une sijolie boîte. De plus tu n’as pas assez d’ordre. Tu ne rangerais rien et tuperdrais tous les objets les uns après les autres.
SOPHIE. – Oh non ! maman, je vous assure ; j’en aurais bien soin.
MADAME DE RÉAN. – Non, Sophie, n’y pense pas ; tu es trop jeune.
SOPHIE. – Je commence à très bien travailler, maman ; j’aime beaucoup àtravailler.
MADAME DE RÉAN. – En vérité ! Et pourquoi es-tu toujours si désolée quandje t’oblige à travailler ?
SOPHIE, embarrassée. – C’est…, c’est… parce que je n’ai pas ce qu’il me fautpour travailler. Mais, si j’avais cette boîte, je travaillerais avec unplaisir…, oh ! un plaisir…
MADAME DE RÉAN. – Tâche de travailler avec plaisir sans la boîte, c’est lemoyen d’arriver à en avoir une.
SOPHIE. – Oh ! maman, je vous en prie !
MADAME DE RÉAN. – Sophie, tu m’ennuies. Je te prie de ne plus songer à laboîte.




Sophie se tut ; elle continua à regarder la boîte, puis elle la redemandaà sa maman plus de dix fois. La maman, impatientée, la renvoya dans le jardin.
Sophie ne joua pas, ne se promena pas ; elle resta assise sur un banc,pensant à la boîte et cherchant les moyens de l’avoir.
« Si je savais écrire, dit-elle, j’écrirais à papa pour qu’il m’en envoie unetoute pareille ; mais… je ne sais pas écrire ; et, si je dictais lalettre à maman, elle me gronderait et ne voudrait pas l’écrire… Je pourraisbien attendre que papa soit revenu ; mais il faudrait attendre troplongtemps et je voudrais avoir la boîte tout de suite… »
Sophie réfléchit, réfléchit longtemps ; enfin elle sauta de dessus sonbanc, frotta ses mains l’une contre l’autre et s’écria :
« J’ai trouvé, j’ai trouvé. La boîte sera à moi. »



Et voilà Sophie qui rentre au salon, la boîte était restée sur la table ;mais la maman n’y était plus. Sophie avance avec précaution, ouvre la boîte eten retire une à une toutes les choses qui la remplissaient. Son cœur battait,car elle allait voler, comme les voleurs que l’on met en prison. Elle avaitpeur que quelqu’un n’entrât avant qu’elle eût fini.

Mais personne ne vint ; Sophie put prendre tout ce quiétait dans la boîte. Quand elle eut tout pris, elle referma doucement la boîte,la replaça au milieu de la table et alla dans un petit salon où étaient sesjoujoux et ses petits meubles ; elle ouvrit le tiroir de sa petite tableet y enferma tout ce qu’elle avait pris dans la boîte de sa maman.
« Quand maman n’aura plus qu’une boîte vide, dit-elle, elle voudra bien me ladonner ; et alors j’y remettrai tout, et la jolie boîte sera à moi !»
Sophie, enchantée de cette espérance, ne pensa même pas à se reprocher cequ’elle avait fait ; elle ne se demanda pas : « Que dira maman ?Qui accusera-t-elle d’avoir volé ses affaires ? Que répondrai-je quand onme demandera si c’est moi ? » Sophie ne pensa à rien qu’au bonheur d’avoirla boîte.
Toute la matinée se passa sans que la maman s’aperçût du vol de Sophie ;mais à l’heure du dîner, quand tout le monde se réunit au salon, Mme de Réandit aux personnes qu’elle avait invitées à dîner qu’elle allait leur montrerune bien jolie boîte à ouvrage que M. de Réan lui avait envoyée de Paris.
« Vous verrez, ajouta-t-elle, comme c’est complet ; tout ce qui estnécessaire pour travailler se trouve dans la boîte. Voyez d’abord la boîteelle-même ; comme elle est jolie !
– Charmante, répondit-on, charmante. »


Mme de Réan l’ouvrit. Quelle fut sa surprise et celle despersonnes qui l’entouraient, de trouver la boîte vide !
« Que signifie cela ? dit-elle. Ce matin, tout y était, et je ne l’ai pastouchée depuis.
– L’aviez-vous laissée au salon ? » demanda une des dames invitées.
MADAME DE RÉAN. – Certainement, et sans la moindre inquiétude ; tous mesdomestiques sont honnêtes et incapables de me voler.
LA DAME. – Et pourtant la boîte est vide, chère madame ; il est certainque quelqu’un l’a vidée.
Le cœur de Sophie battait avec violence pendant cette conversation ; ellese tenait cachée derrière tout le monde, rouge comme un radis et tremblant detous ses membres.
Mme de Réan, la cherchant des yeux et ne la voyant pas, appela : « Sophie,Sophie, où es-tu ? »
Comme Sophie ne répondait pas, les dames derrière lesquelles elle était cachée,et qui la savaient là, s’écartèrent, et Sophie parut dans un tel état derougeur et de trouble, que chacun devina sans peine que le voleur étaitelle-même. « Approchez, Sophie », dit Mme de Réan.
Sophie s’avança d’un pas lent ; ses jambes tremblaient sous elle.


MADAME DE RÉAN. – Où avez-vous mis les choses qui étaientdans ma boîte ?
SOPHIE, tremblante. – Je n’ai rien pris, maman, je n’ai rien caché.
MADAME DE RÉAN. – Il est inutile de mentir, mademoiselle ; rapportez toutà la minute, si vous ne voulez pas être punie comme vous le méritez.
SOPHIE, pleurant. – Mais, maman, je vous assure que je n’ai rien pris.
MADAME DE RÉAN. – Suivez-moi, mademoiselle.
Et, comme Sophie restait sans bouger, Mme de Réan lui prit la main etl’entraîna malgré sa résistance dans le salon à joujoux. Elle se mit à chercherdans les tiroirs de la petite commode, dans l’armoire de la poupée ; netrouvant rien, elle commençait à craindre d’avoir été injuste envers Sophie,lorsqu’elle se dirigea vers la petite table. Sophie trembla plus fort lorsquesa maman, ouvrant le tiroir, aperçut tous les objets de sa boîte à ouvrage, queSophie avait cachés là.
Sans rien dire, elle prit Sophie et la fouetta comme elle ne l’avait jamaisfouettée. Sophie eut beau crier, demander grâce, elle reçut le fouet de labonne manière, et il faut avouer qu’elle le méritait.
Mme de Réan vida le tiroir et emporta tout ce qu’elle y avait trouvé, pour leremettre dans sa boîte, laissant Sophie pleurer seule dans le petit salon.






Photo Cyril Delacour -

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http://www.cyrildphotos.com/



Elle était si honteuse qu’elle n’osait plus rentrer pourdîner ; et elle fit bien, car Mme de Réan lui envoya sa bonne pourl’emmener dans sa chambre, où elle devait dîner et passer la soirée. Sophiepleura beaucoup et longtemps ; la bonne, malgré ses gâteries habituelles,était indignée et l’appelait voleuse.
« Il faudra que je ferme tout à clef, disait-elle, de peur que vous ne mevoliez. Si quelque chose se perd dans la maison, on saura bien trouver levoleur et on ira tout droit fouiller dans vos tiroirs. »
Le lendemain, Mme de Réan fit appeler Sophie.
« Écoutez, mademoiselle, lui dit-elle, ce que m’écrivait votre papa enm’envoyant la boîte à ouvrage. »
« Ma chère amie, je viens d’acheter une charmante boîte à ouvrage que je vousenvoie. Elle est pour Sophie, mais ne le lui dites pas et ne la lui donnez pasencore. Que ce soit la récompense de huit jours de sagesse. Faites-lui voir laboîte, mais ne lui dites pas que je l’ai achetée pour elle. Je ne veux pasqu’elle soit sage par intérêt, pour gagner un beau présent ; je veuxqu’elle le soit par un vrai désir d’être bonne… »
« Vous voyez, continua Mme de Réan, qu’en me volant, vous vous êtes voléevous-même. Après ce que vous avez fait, vous auriez beau être sage pendant desmois, vous n’aurez jamais cette boîte.


J’espère que la leçon vous profitera et que vous nerecommencerez pas une action si mauvaise et si honteuse. »
Sophie pleura encore, supplia sa maman de lui pardonner. La maman finit par yconsentir, mais elle ne voulut jamais lui donner la boîte ; plus tard ellela donna à la petite Élisabeth Chéneau, qui travaillait à merveille et quiétait d’une sagesse admirable.
Quand le bon, l’honnête petit Paul apprit ce qu’avait fait Sophie, il en fut siindigné qu’il fut huit jours sans vouloir aller chez elle. Mais, quand il sutcombien elle était affligée et repentante, et combien elle était honteused’être appelée voleuse, son bon cœur souffrit pour elle ; il alla lavoir ; au lieu de la gronder, il la consola et lui dit :
« Sais-tu, ma pauvre Sophie, le moyen de faire oublier ton vol ? C’estd’être si honnête, qu’on ne puisse pas même te soupçonner à l’avenir. »
Sophie lui promit d’être très honnête, et elle tint parole.

Les malheurs de Sophie - La comtesse de Ségur -




Site de Cyril Delacour -


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Mathilde Primavera.

8 commentaires:

  1. Crible la vallée14 avril 2012 à 11:11

    Merci Mathilde. On voit nettement que la mère de sophie est une fieffée perverse qui pousse sa fille à la fautebet se délecte à humilier sa fille tout en donnant mauvaise conscience à la Petite,
    Intéressante relecture qui m éclaire sur ce qui me dérangeait il y a 50 ans et que je ne parvenais pas à nommer !

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    1. Certes Cri, les méthodes de la mère sont insupportables, c'est une vraie tortionnaire !
      Mais, tout de même, aussi, ce n'est pas parce que Sophie est une gamine qu'elle est une sainte, une adorable petite fille !!!
      Si tu veux mon avis la mère est infréquentable, mais la fille est également imbuvable !!! Ses caprices s'ils ne méritaient pas des sanctions aussi sévères sont tout de même super pénibles !!!
      Sinon évidemment je suis ravie de t'avoir permis de t'exprimer enfin sur ce qui te dérangeait il y a 50 ans !!!

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  2. Morale et châtiments corporels...ou comment développer des goûts pour le SM...et les corsets aussi !

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    1. Tout à fait, à se demander si la comtesse De Ségur n'était pas une parente du marquis de Sade !!!

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  3. Ce sujet est vraiment passionnant !
    J'y vois aussi des boites à remonter le temps !!!
    Toujours mon esprit tordu ! ;-)
    Quant au SM qu'évoque K'line Plum'... je ne sais pas si ce goût se développe ou s'il est inné ?

    Bises ;-)

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    1. Merci pour le "sujet passionnant", moi aussi je trouve !!! (Rires)J'avais adoré ce chapitre étant enfant, je m'en souvenais assez bien dans l'ensemble, mais après relecture c'est carrément terrifiant !!! J'ai jugé utile de publier cet extrait car autrefois on estimait La Comtesse de Ségur comme une valeur sure, un auteur à conseiller aux enfants !!! ??? Tout est toujours relatif dans la vie !!!

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  4. Bonjour,

    Il serait heureux de présenter l'auteur de la photographie n&b "le bonheur d'être simplement là" ainsi que de la lier à sa page d'origine :

    Cyril Delacour - http://www.cyrildphotos.com/

    Merci.

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    1. Désolée de ne pas l'avoir fait, je répare le préjudice immédiatement ! Avec mes plus plates excuses !!!

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