Tout ce qui n'est pas donné ou partagé est perdu (proverbe gitan)

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Ici c'est le printemps toute l'année !!!

samedi 11 décembre 2010

Projection




"Le corps, unique lieu de rêve et de raison, Asile du désir, de l'image et des sons."

"Il n'est rien de réel que le rêve et l'amour."  

"Seul le plaisir physique contente l'âme pleinement."  


Anna-Elisabeth de Brancovan Comtesse Mathieu de NOAILLES

(1876-1933)

Poétesse et romancière française, d'origine roumaine, elle a été élue membre de l'académie royale belge de langue et de littérature françaises et elle a reçu le grand prix de littérature décerné par l'académie française. Elle a été également la première femme à recevoir la cravate de commandeur de la légion d'honneur.
Proche amie de Cocteau et Rodin qui l'ont représentée en dessin et en sculpture, cette femme passionnée et passionnante m'interroge fortement sur un point qui m'intrigue.
En effet, à l'âge de 27 ans elle rencontre Maurice Barrès, un homme politique et romancier de 10 ans son aîné, d'où naquit une très grande amitié, au point où trop affligée par son décès quelques années plus tard elle ne pourra pas se rendre à ses obsèques.





Je vous livre deux extraits de sa correspondance avec lui pour que vous puissiez mieux vous rendre compte des liens qui les unissaient :


Paris, Lundi 30 - juillet 1906
Mon ami, vous me manquez plus que je ne puis vous dire, la vie cesse loin de votre amitié visible.
Mes lettres, qui n'ont pas le divin accent des vôtres, vous apportent-elles du moins la détresse de mon regard sur cet été si beau, si vide. J'en arrive à une discipline de couvent pour ne pas me désespérer, pour exister.
Lire à telle heure, sortir à telle heure, mais la rêverie baigne tant mon cœur que, tout à l'heure, lisant la description d'un dîner que faisaient sous les bambous d'un jardin de Malaisie, au dix-huitième siècle, deux tendres voyageurs, je me sentais mourir de nostalgie, de poésie, de vague et torturante espérance.
Sentez, mon ami, le poids de mes journées sans vous, comme moi je pense sans cesse au vide qui est autour de vous, et que, présente, je comblais de mon amitié infinie.
Anna



Paris, Dimanche 29 juillet 06

Mon ami votre lettre est meilleure que la vie, ce matin où je suis sans courage, triste, fatiguée sous le plus beau ciel. Votre voix lointaine, si bonne, mais voilée, c'est l'irréel, le rêve, - et la vérité qui fait mal c'est cette dure, éblouissante journée. Vous m'êtes plus précieux, meilleur encore, mais plus mystérieux aussi que dans nos après-midi de chez moi, avec tant de paroles, de disputes, d'appui, de concorde. Que c'est loin, indéfiniment loin mes goûters au ministère, mon émoi et ma farouche dignité politiques, mes silencieuses ou débordantes colères ! Je suis alanguie sous l'été, mon esprit replié ne s'ouvre qu'à l'instant de votre lettre, et je referme sur elle tous les soigneux pétales de la douce et triste rêverie. Et puis aussi la surprise de ne pas attendre à quatre heures votre visite fixe la monotone couleur de la journée, et les jours passent, douce cendre, dédiée à vous.
Dites-moi si vous vous portez bien; au revoir mon unique ami, toutes mes pensées pensent à vous.
Anna







Lui, à propos de sa rencontre avec elle, écrira ceci :

"La bête de tristesse est rentrée dans sa niche, je me retrouve heureux comme un enfant. C'est un concert qui éclate, une pluie de fleurs qui tombe, un émerveillement dans mon âme. J'admire la vie, j'écarte la mort, je souhaite à tous le bonheur, l'univers a pris un sens."


J'avoue être perplexe quant aux limites de leur relation restée purement amicale.

Comment se fait-il que deux êtres brillants comme eux qui n'étaient pas toujours d'accord sur leur vision du monde, mais qui finissaient toujours par s'entendre, se respecter et s'harmoniser jusque dans leurs silences, ne soient pas devenus ne serait-ce qu'amants ?
Comment expliquer leur chasteté si ce n'est peut-être par un manque d'attirance mutuelle ?
Le pire serait de penser que la thèse de Shopenhauer s'applique aussi à leur cas, à savoir que deux êtres ne peuvent avoir une relation intime que si l'instinct des deux partenaires les pousse à s'accoupler dans le seul but d'engendrer une espèce qui saura compenser les défauts de l'un par les qualités de l'autre.

Ainsi, Anna et Maurice, bien trop semblables sur beaucoup de points, seraient restés prudes.

C'est absolument terrifiant car cette théorie induit aussi que tout ce qui tourne autour de l'amour, tels les sentiments, ne serait que de la littérature.

Diantre !
Laissez-moi en douter !



Mathilde Primavera.

8 commentaires:

  1. La peinture d'abord, j'ai l'impression que c'est un Caillebotte. Que je ne connaissais pas mais qui est fort belle
    L'amitié chaste d'Anna de Noailles et de Barrès, elle était marié, elle avait un amant qui était ami de Barrès (mort jeune je l'accorde)... quant à lui, il était très proche et très admiratif de nombreux hommes. Peut-être n'aimait-il pas les femmes ? Peut-être ont-ils voulu sublimer leur relation dans l'amitié sans la ternir par les affres de la passion sexuelle ? Va savoir, il est bon parfois d'aimer d'amitié, même et surtout un homme. Je dis "et surtout" un homme car certaines d'entre nous n'aiment pas forcément la complicité entre nanas et sont plus à l'aise dans les amitiés masculines, plus carrées, plus simples. Va savoir.
    En tout cas, tes textes sont beaux

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  2. Caillebotte, il me semble, l'illustration...

    L'amitié plus forte que l'amour?

    Plus simple, restant épistolaire

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  3. Les corps de femmes sont beaucoup plus beaux!

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  4. Michelaise : oui bien sûr que c'est un Caillebote, bien vu, mais on reconnait bien sa touche picturale qui lui est propre et au niveau technique on peut facilement faire l'analogie avec les cireurs de parquet, la plus connue, pour ne pas dire la seule, du grand public.
    Ah, concernant Barrès je n'avais pas songé qu'effectivement il pouvait être homosexuel, ça serait une explication satisfaisante.
    Et justement, c'est parce-que je savais qu'elle avait eu des amants, que je ne comprends pas pourquoi lui n'en faisait pas partie ! Mais la raison évoquée prédemment me conviendrait, dans l'éventualité de celle-ci.
    Quant à une forte amitié entre un homme et une femme, sans aucune équivoque et aucune ambiguité, justement à part entre un(e) hétérosexuel(e) et un(e) homoxexuell(e), je n'y crois pas trop. C'est beaucoup plus courant entre personnes du même sexe.

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  5. Jeandler : comme Michelaise, vous avez l'oeil ! C'est bien lui !
    L'amitié plus forte que l'amour ?
    Vous n'y pensez pas !
    Plus durable oui, plus forte certainement pas !

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  6. Adrian : oui, certes de votre point de vue, mais de mon côté, en tant que femme, permettez- moi de me faire plaisir à l'occasion aussi !!!

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  7. Tout à fait d'accord avé la comtesse de Noailles: "seul le plaisr physique contente l'âme pleinement". Un tantiner coquine, M'dame la Comtesse.....!

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  8. Serge : non pas coquine, une sensuelle qui l'assume tout simplement !

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