Tout ce qui n'est pas donné ou partagé est perdu (proverbe gitan)
samedi 9 avril 2011
Hier Emil Cioran aurait eu 100 ans !
"Cioran dans la rue" par Dan PERJOVSCHI
Le 8 avril 2011 Emil Cioran aurait eu cent ans. Cette année est donc « l’année Cioran », l’occasion de célébrer l’écrivain, le non-philosophe, le styliste qui, selon ses mots « pense en roumain » et « écrit en français ».
L’Ambassade de France en Roumanie et l’Institut Français de Bucarest avec le soutien de la Mairie de Bucarest ont souhaité faire sortir l’œuvre d’Emil Cioran dans l’espace public. Tout grand écrivain risque de se voir, plus ou moins rapidement muséifier. « J’ai connu toutes les déchéances, y compris le succès » disait Cioran. L’embaumement par la glose respectueuse et la déférence obligée est une forme supplémentaire de déchéance, pire une seconde mort. Nous avons voulu célébrer la vitalité de Cioran, celui qui s’adresse aux vivants et leur dit avec ironie de ne pas être dupes : il existe une supériorité de la vie face à la mort, celle de l'incertitude. La vie, n'est fondée sur rien de compréhensible, et ne donne pas l'ombre d'un argument. « Le fait que la vie n’ait aucun sens est une raison de vivre, la seule du reste. »
Il y a une vie intime, celle du moment où l’on est face à soi-même et ce sont ces moments, où l’on doit se dire la vérité, que Cioran a voulu fixer sans cruauté mais sans pitié. La rue est le lieu du jeu social : l’intime s’y retire et laisse la place à la convention. Il nous a paru nécessaire de réintroduire quelques éclats de vérité ardente dans les endroits déshumanisés où se pressent les gens : les stations de métro, les arrêts de bus, les nœuds de communication. Partout dans la ville de Bucarest, de Gara de Nord d’où arrivent les provinciaux de Sibiu ou d’ailleurs, à Grozavesti où se massent les étudiants, de la Piata Universitati à la Bibliothèque Universitaire, des affiches vont porter des citations d’Emil Cioran. Mais le texte ne sera pas seul. Interpréter la pensée cioranienne en images, mettre face à face deux manières de penser la vie et le monde, mettre le public en contact direct avec le verbe de l’écrivain, c’est cette démarche que s’est fixée « Cioran dans la rue par Dan Perjovschi ».
Dan Perjovschi, dont le talent s’est d'abord exercé dans la presse roumaine de l'après-Ceausescu avant de le mener au MoMa de New York, a accepté cette proposition impossible « donner à voir » - il ne s’agit évidemment pas d’illustrer- des fragments de la pensée de Cioran. Autour d’une trentaine de citations, Dan Perjovschi a utilisé ses outils favoris, son crayon feutre et son intelligence aigue pour traduire Cioran dans son langage.
Pourquoi susciter la rencontre entre Emil Cioran et Dan Perjovschi ? Ce pourrait être, de manière anecdotique, une raison géographique. L’écrivain et l’artiste visuel ont tous deux passé leur enfance à Sibiu. Ou bien, Roumains connus dans le monde entier, ce serait pour l’un comme pour l’autre, une manière de s’encanailler : descendre dans la rue, le lieu des compromis et de la publicité mais aussi celui des révolutions – réussies ou ratées, et de la liberté. « Nous sommes tous au fond d’un enfer dont chaque instant est un miracle ».
Mais la connexion est plus profonde. Il s’agit d’une approche d’ordre esthétique. L'œuvre de Cioran comporte des recueils d'aphorismes, ironiques, sceptiques et percutants. Ces phrases, économes et parfaites, se gravent dans l’esprit du lecteur. Les dessins de Dan Perjovschi, apparemment simples comme des dessins d’enfants - trois traits, deux mots – sont des aphorismes visuels. Cioran et Perjovschi sont subversifs, au sens étymologique. Avec humour – on rit en lisant Cioran, ils tentent de perturber ou renverser l’ordre social ou politique.
Mais il y a peut-être encore quelque chose de plus fondamental qui relie ces deux aphoristes roumains. D’une sensibilité artistique extrême, très vite, très jeunes, l’art les a fatigués. Pas la vie. « Etre, c’est être coincé »
CIORAN DANS LA RUE PAR DAN PERJOVSCHI
Fiche technique
« Cioran dans la rue » est une initiative de l’Ambassade de France en Roumanie et de l’Institut Français de Bucarest.
Elle bénéficie du soutien de la Mairie de Bucarest, des Editions Humanitas, du Centre National du Livre français, de GDF-Suez Roumanie, de la BRD et d’Orange Roumanie.
Une trentaine de citations d’Emil Cioran sélectionnées par Svetlana Carstean seront traduites visuellement par Dan Perjovschi dans l’espace public de Bucarest du 7 avril au 6 mai 2011
- 5 stations de metro : Gara de Nord, Grozavesti, Piata Victorei, Politehnica, Piata Universitati
- 22 arrêts de bus dans la capitale roumaine
- Affiches géantes à Piata Universitati, Calea Rosetti, Institut Français de Bucarest
- Arret de Bus Piata Universitati sera transformé en bibliothèque Cioran
- Performance de Dan Perjovschi dessinant en temps réel à l’Institut Français de Bucarest le 7 avril à partir de 18h30
- Interventions dans la rue avec des « tags » éphémères représentants les dessins de Dan Perjovschi
Un catalogue regroupant les œuvres exposées, les esquisses ainsi que des photos des œuvres « in situ » sera publié à l’issue de l’exposition.
Biographie d’Emil Cioran
Emil Cioran est le né le 8 avril 1911 à Răşinari en Roumanie. Il est mort le 20 juin 1995 à Paris. Ecrivain roumain, d'expression roumaine initialement, puis française à partir de 1949 (Précis de décomposition), il a vécu la majeure partie de sa vie en France, mais conservera sa nationalité.
Après quelques années de vie heureuse à Răşinari, petit village de Transylvanie, Cioran est traumatisé par un déménagement vers Sibiu, ville proche du village. Il a souvent décrit le rôle matriciel qu’a eu pour lui son village natal : « Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance. (Histoire et utopie). Ce choc, ainsi que les relations difficiles avec sa mère et les nombreuses insomnies dont il souffre durant sa jeunesse, façonnent rapidement sa vision pessimiste du monde et le font penser au suicide.
Il fait des études de philosophie à l’Université de Bucarest dès l’âge de 17 ans. Ses premiers travaux portent sur Kant, Schopenhauer et, particulièrement, Nietzsche. Il obtient sa licence en 1932, après avoir terminé une thèse sur Bergson, dont Cioran rejettera plus tard la philosophie, jugeant qu'il n'a pas compris la tragédie de la vie. En 1933, il va à l'Université de Berlin.
A 22 ans, il publie Sur les cimes du désespoir, son premier ouvrage, avec lequel il inscrit, malgré son jeune âge, son nom au panthéon des grands écrivains roumains. Après deux années de formation à Berlin, il rentre en Roumanie, où il devient professeur de philosophie au lycée Andrei Şaguna de Braşov pendant l'année scolaire 1936-1937.
Après la guerre, il écrit toute une partie de son œuvre en français, abandonnant totalement sa langue maternelle, le roumain : « En français, on ne devient pas fou », sous-entendu pour un non-francophone de naissance en raison de la syntaxe particulière de la langue.
L'œuvre de Cioran, ironique et apocalyptique, est marquée du sceau du pessimisme, du scepticisme et de la désillusion. En 1973, Cioran publie son œuvre la plus marquante : De l'inconvénient d'être né. En 1987, il publie son ultime ouvrage, Aveux et anathèmes.
L'œuvre de Cioran comporte des recueils d'aphorismes, ironiques, sceptiques et percutants, tel De l'inconvénient d'être né, qui forment ses œuvres les plus connues, mais on peut aussi y trouver des textes plus longs et plus détaillés. D'une façon générale, l'œuvre de Cioran est marquée par son refus de tout système philosophique. Son scepticisme est probablement son caractère le plus marquant, bien plus que son pessimisme. Cioran, dont les écrits sont assez sombres, est un homme de très bonne compagnie, plutôt gai. Il déclare avoir passé sa vie à recommander le suicide par écrit, et à le déconseiller en paroles, car dans le premier cas cela relève du monde des idées, alors que dans le second il a en face de lui un être de chair et de sang. Tout en conseillant et déconseillant le suicide, il affirme qu'il existe une supériorité de la vie face à la mort : celle de l'incertitude. La vie, la grande inconnue, n'est fondée sur rien de compréhensible, et ne donne pas l'ombre d'un argument. Au contraire, la mort, elle, est claire et certaine. D'après Cioran, seul le mystère de la vie est une raison de vivre.
On peut, à tort, accuser Cioran d'avoir pris dans ses écrits une « pose » de désespoir. Il semble avoir été profondément triste de ne pas pouvoir établir de système qui donnerait un sens à sa vie, alors même que dans sa jeunesse il avait été extrêmement passionné (cf. les Cimes du désespoir).
Si Cioran vécut véritablement la plus grande partie de son existence modestement, cet autoportrait de solitaire et désespéré qu'il dresse dans ses livres ne correspond pas entièrement à l'écrivain ; c'est plutôt là le mythe Cioran, le personnage des livres. Mais parler de « pose » dans le désespoir serait inexact. Parce que Cioran critique vivement les auteurs de discours moralistes qui mènent par ailleurs une existence immorale, il cherche lui-même la sincérité dans ses textes, c’est-à-dire l'adéquation de son discours avec son existence. Il dira vouloir seulement garder secrète sa vie privée : sa vie amoureuse, la part heureuse et optimiste de son existence. Car le bonheur n'est pas fait pour les livres, expliquait-il.
Se tenant à l'écart du milieu universitaire et littéraire parisien, il eut néanmoins quelques amis intimes avec qui il aimait converser : Mircea Eliade, Eugène Ionesco, Samuel Beckett, Constantin Tacou, Gabriel Matzneff, Frédérick Tristan, Roland Jaccard.
Emil Cioran est mort le 20 juin 1995 à Paris des suites de la maladie d'Alzheimer sans avoir mis à exécution son projet de suicide.
Biographie de Dan Perjovschi
Dan Pervoschi est né en 1961 à Sibiu. Il est un artiste, auteur et dessinateur. Dan Perjovschi est sans doute un des artistes visuels roumains vivants les plus connus dans le monde.
A la fois drôle et acerbe, il mélange ses observations et expériences quotidiennes avec des réflexions sur les événements macropolitiques. Il a toujours un carnet dans la poche de sa veste et il ne cesse de collecter et de dessiner. Ses dessins le plus souvent éphémères, réalisés dans les lieux d’exposition, les espaces muséaux, dans la rue, ou dans les multiples livres qu’il a publiés, posent des questions sur le contexte social et politique dans lequel ils s’insèrent. Leur simplicité contraste grandement avec la gravité des questions qu’ils soulèvent sur l’identité post-communiste et européenne, le consumérisme, ou encore la religion. Mais une fois qu’ils se sont frayés un chemin sur le mur, les motifs développent une existence autonome. Dan Perjovschi «est un hériter de l’art perdu des caricaturistes qui se donnaient en spectacle devant leur public ou dans un studio de télévision, et présentaient leur blagues malicieuses en usant de manière acrobatique de leur répartie « (Catrin Lorch-Frieze-Avril 2006)
Dan Perjovschi a d'abord exercé dans la presse roumaine de l'après-Ceausescu, notamment le journal de l’opposition 22. Il a très vite été amené à exposer dans le monde entier : à la Biennale de Lyon, à la Biennale de Venise, et sur les murs du MoMA, le célèbre musée d'art moderne de New York.. Au MoMA, c'est un mur entier haut de quatre étages qui lui a été consacré, sur lequel il délivre son message. Dan Perjovschi livre une remarque, un constat, une critique sur le monde. Marqué par les bouleversements politiques de son pays, la Roumanie, l'artiste revient sur les conflits mondiaux : la guerre en Irak, le terrorisme ou la guerre économique. Avec un humour grinçant Perjovschi interroge la déshumanisation du monde, la dichotomie entre nord et sud au même titre que la scène artistique contemporaine.
À mi chemin entre les univers du dessin de presse et du graffiti, l'artiste défend l'idée d'un dessin fait pour circuler, s'armant parfois d'une craie pour prolonger son œuvre sur les murs.
http://www.perjovschi.ro/
Informations recueillies sur :
http://www.ambafrance-ro.org/index.php/fr_FR/actualites/actualites-franco-roumaines/cioran-dans-la-rue-par-dan-perjovschi
"On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu'on n'oserait confier à personne."
"Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ."
"Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé."
"Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour !"
"On ne peut expliquer un paradoxe, non plus qu'un éternuement. D'ailleurs, le paradoxe n'est-il pas un éternuement de l'esprit ?"
"Il est inélégant de se plaindre de la vie tant qu'on peut s'aménager une heure de solitude par jour."
"Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance."
"Ce n'est pas la peur d'entreprendre, c'est la peur de réussir, qui explique plus d'un échec."
"Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent !"
Emil Michel Cioran
Mathilde Primavera.
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j'aime Cioran - pas certaine pourtant d'aller le commémorer à Bucarest
RépondreSupprimerBrigetoun : je te rassure, je n'irais pas non plus si loin. Mais, a priori l'ambassade de Roumanie à Paris a également commémoré cet évènement, je le sais car j'ai une amie violoncelliste qui y était pour jouer de la musique baroque car Cioran aimait Bach !
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